Photographie : les stars de Pierre et Gilles, de Paris à Cannes

Photographie : les stars de Pierre et Gilles, de Paris à Cannes
Pierre et Gilles, Extase, Arielle Dombasle (détail), 2002, collection particulière, Paris © Pierre et Gilles

Depuis plus de quarante ans, Pierre et Gilles mettent en scène les stars de leur époque en des tableaux féeriques qui mêlent photographie et peinture. À Paris et à Cannes, deux expositions célèbrent leur passion pour la musique et le cinéma.

« Enchanter le réel », telle est l’ambition de Pierre et Gilles, dont les images au style immédiatement reconnaissable composent, depuis la fin des années 1970, une impressionnante galerie de portraits. D’Iggy Pop à Clara Luciani et de Sylvie Vartan à Eddy de Pretto, en passant par Nina Hagen, Madonna, Marylin Manson, Étienne Daho, Catherine Deneuve, Charlotte Rampling ou Isabelle Huppert, les stars n’ont cessé de leur inspirer des tableaux aux mises en scène extravagantes. Plus profondes qu’elles n’en ont l’air, leurs images sont nourries de multiples références, puisées aux sources de la mythologie grecque, de l’histoire de l’art (le portrait de Marc Almond en Buveur d’absinthe, réinterprétation d’Édouard Manet) ou de l’iconographie religieuse (Arielle Dombasle en Extase, Zahia en Ève…). Sans oublier les grands sujets de société, du Printemps arabe au Mariage pour tous.

Entre légèreté et mélancolie, profane et sacré, leurs œuvres sont doubles, reflets de la personnalité de l’un et de l’autre. Pierre est un romantique, Gilles se dit plus provocateur. « Nous sommes complémentairesc’est pour cela que le duo fonctionne », expliquent-ils dans leur vaste appartement du Pré-Saint-Gervais, véritable caverne d’Ali Baba où s’accumulent, du sol au plafond, des milliers de cartes postales et de photographies (Claude François, Boy George, Michael Jackson…), de figurines et d’objets divers d’un kitsch assumé, rapportés de leurs nombreux voyages.

Les expositions proposées actuellement à la Philharmonie de Paris et à La Malmaison, à Cannes, réunissent plus de cent cinquante tableaux, autour de la musique et du cinéma, deux univers qui fascinent les artistes depuis toujours. « Lorsqu’on s’est rencontrés à Paris, en 1976, Gilles était illustrateur, se souvient Pierre, né en 1950 à La Roche-sur-Yon. Moi, je réalisais des portraits d’Andy Warhol ou de Mick Jagger pour “Interview”, “Rock & Folk”, “ Façade”. À cette époque, nous sortions déjà beaucoup. On photographiait nos amis, Eva Ionesco, Christian Louboutin, Farida… et parmi eux, se trouvaient des chanteurs et des chanteuses, comme Marie France, égérie de l’underground que l’on n’a jamais cessé de suivre. » Gilles, lui, est né en 1953 à Sainte-Adresse. « J’étais un enfant plutôt triste, j’avais besoin de m’évader. J’allais beaucoup au cinéma, et les chansons étaient un peu comme des bonbons, confie-t-il. Mes parents étaient férus de musique classique, la variété était mal vue à la maison. Je crois que ça m’a encore plus donné envie d’en écouter ! Plus tard, à l’école des Beaux-Arts du Havre, mes copains étaient fans de Bob Dylan, des Beatles, de Janis Joplin… Moi, j’aimais surtout regarder les shows télévisés avec Sheila et Claude François. »

Une histoire de rencontres

Pierre et Gilles ont commencé à travailler ensemble quelques mois après leur rencontre. Au regard de ce qu’ils font aujourd’hui, leurs premières images à quatre mains apparaissent particulièrement épurées. Ainsi de portraits de Mick Jagger, de Salvador Dalí ou d’Amanda Lear inspirés des Photomaton (Gilles en collectionne depuis l’adolescence, de sa famille, de ses amis ou d’inconnus ayant oublié leurs clichés dans la cabine), cadrés en gros plan, sur un fond coloré en aplat qui rappelle l’esthétique du Pop Art. Au fil du temps, leurs compositions gagneront en complexité, et les décors deviendront de plus en plus sophistiqués.

Dans les années 1980, Pierre et Gilles s’immiscent dans les nuits du Palace, du Bus Palladium ou du Sept, lieux fréquentés par le milieu gay, les stars de la mode et de la musique pop. Ils alternent travaux de commande (des clips pour Mikado, Marc Almond, Helena Noguerra…) et œuvres personnelles. « Nous n’avons jamais décroché notre téléphone pour proposer à tel ou tel acteur ou chanteur de poser pour nous, assurent-ils. Tout s’est fait naturellement, par des rencontres, et une envie mutuelle de travailler ensemble. » Au fil du temps, de solides amitiés se sont nouées. Comme avec Dani – à qui ils ont consacré l’une de leurs œuvres les plus récentes, inspirée par le style de Bernard Buffet, le peintre de prédilection de Gilles -– ou Sylvie Vartan, à qui ils dédient une section de leur exposition à la Philharmonie de Paris, en imaginant la chambre d’une fan, envahie d’images et d’objets dérivés. Ils admirent la chanteuse depuis le temps des Yéyés et ont fait sa connaissance en 1994 à l’occasion d’un dîner chez Étienne Daho. Ce dernier occupe également une place importante dans leur vie, depuis la pochette du deuxième album du chanteur, La Notte, La Notte (1984) et cette image devenue icône du jeune artiste en marinière, un perroquet vert sur l’épaule.

Le goût de l’artisanat

Chacune de leurs images naît au sous-sol de leur appartement. En bas d’un étroit escalier en colimaçon apparaissent une petite scène, des projecteurs, des mannequins, des dizaines de boîtes étiquetées où sont soigneusement rangés les accessoires : nuages de coton, peluches, bijoux, fleurs en tissu, boules de Noël, auréoles… « C’est du grand bricolage, à la Georges Méliès, explique le duo qui, après tant d’années, n’a rien perdu de son enthousiasme et de son plaisir de créer. Depuis que Photoshop existe, beaucoup pensent que nos images relèvent du montage numérique, mais tout est artisanal, jusqu’au cadre que nous fabriquons nous-mêmes. Chaque œuvre est une pièce unique. » Gilles s’attelle à la mise en place du décor (qui peut prendre jusqu’à dix jours) et Pierre règle les lumières. Habillé et maquillé, le modèle est ensuite invité à s’installer au cœur du dispositif. Une fois la photographie réalisée par Pierre, elle est imprimée sur toile. Débute alors le travail de peinture, exécuté par Gilles sur un chevalet installé au rez-de-chaussée, sous la verrière d’une petite serre. « Tout existe dès la prise de vues. Je n’ajoute aucun élément, précise-t-il. J’épure l’image, j’adoucis certains détails, je lisse, j’accentue une expression, je retravaille le bleu d’un ciel. »

Les visages et les corps sont sublimés, idéalisés, fixés dans une jeunesse et une beauté éternelles. Nulle ride, pas le moindre cheveu blanc. Chez Pierre et Gilles, le temps semble n’avoir aucune emprise. Les artistes s’intéressent autant à la personnalité du modèle, à son être, qu’à l’image qu’il renvoie. Plus que des portraitistes, ils sont des metteurs en scène. Chaque modèle incarne un rôle, joue un autre personnage que le sien. « Nous recherchons la beauté, le rêve, la magie, le mystère », expliquent-ils. Chacun de leurs tableaux est une bulle, une échappée, une invitation à l’évasion. Comme un film, ou une chanson.

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